Après plusieurs semaines d’attente, la Tunisie a enfin un gouvernement. L’annonce a été faite le lundi 11 octobre 2021, lors d’une conférence de presse organisée au Palais présidentiel de Carthage. Le président de la République Tunisienne, Kaïs Saïed, a désigné Najla Bouden, une universitaire jusqu’alors méconnue du grand public, pour former et annoncer le gouvernement. C’est une grande première en Tunisie et dans le monde arabe.
Le nouveau gouvernement est composé de 26 membres, dont sa cheffe Najla Bouden. Comme elle l’a promis, la nouvelle locatrice du Palais de la Kasbah a présenté une équipe plutôt jeune avec une forte participation des femmes. Ces dernières représentent, en effet, 36 % de l’effectif – 9 sur 26 –.
Si certaines personnalités ont gardé leur portefeuille ministériel, à l’instar d’Ali Mrabet à la Santé et d’Othman Jerandi aux Affaires Étrangères, de nouveaux visages ont débarqué. Ils sont jeunes pour une grande partie. La cheffe du gouvernement tunisien a confié le très sensible département de l’économie à Samir Saïed. C’est un banquier qui a occupé plusieurs postes de responsabilité, que ce soit dans le secteur bancaire ou dans la télécommunication. Il était, en effet, PDG de l’opérateur téléphonique nationale.
Les dossiers chauds qui attendent le nouveau gouvernement
De nombreux défis attendent le nouveau gouvernement tunisien. C’est ce qu’ont rappelé Najla Bouden et Kaïs Saïed dans leurs discours respectifs du lundi 11 octobre. Il s’agit, en premier lieu, de lutter contre la corruption. Arrive, par la suite, la protection du pouvoir d’achat et la lutte contre la COVID-19. Sur ce plan, la Tunisie a accompli des progrès depuis juillet 2021. Grâce à des campagnes massives de vaccination et aux dons des pays amis, à l’instar de la France, le nombre de morts et de contaminations a enregistré une baisse significative : d’une moyenne de 100 décès par jour, le pays est passé à une dizaine de cas quotidiens. Cette amélioration expliquerait le maintien d’Ali Mrabet, qui est issu de la médecine militaire, à la tête du ministère de la Santé.
Au niveau du pouvoir d’achat, le gouvernement Bouden a du pain sur la planche. Malgré une légère baisse par rapport à août 2021, l’inflation reste toujours aussi élevée : 6,2 % en septembre 2021 selon les données de l'Institut National des Statistiques (INS) – ndlr : l'équivalent de l’INSEE en France –.
D’un autre côté, le pays peine encore à se relever des répercussions de la crise sanitaire. Le tourisme, qui est l’une des sources de devises et qui représente 14 % du PIB, a été lourdement impacté par la pandémie. Dans ce contexte difficile, les recettes touristiques ont chuté drastiquement par rapport à 2019. L’année 2021 devrait être clôturée avec à peine 2 milliards de dinars – près de 610 millions d’euros – comparés aux 5 milliards de dinars de 2019 – environ 1,5 milliard d’euros -.
Le secteur industriel n’est pas mieux loti. Malgré une reprise plutôt timide, ses principaux moteurs, notamment la production des phosphates, présentent des performances en deçà des prévisions. Tant d’éléments qui se sont traduits par une baisse significative de la croissance économique de la Tunisie. Selon les prévisions de l’agence de notation Standard & Poor’s, la reprise sera lente. Elle prévoit, d’ailleurs, une croissance de 3,8 % pour le PIB en 2021 et une moyenne de 2,1 % pour les trois prochaines années.
Un contexte politique tout aussi incertain
Outre les difficultés économiques, la Tunisie baigne dans un climat social et, surtout, politique aussi tendu qu’incertain. L’annonce du gouvernement de Najla Bouden intervient dans un contexte marqué par l’opération “Mains Propres” initiée par le président de la République tunisienne le 25 juillet 2021.
Les activités de l’Assemblée des Représentants du Peuple – le Parlement – sont, dans cette optique, gelées. Les députés, pour leur part, sont temporairement privés de leur immunité. Pour une bonne partie de l’opinion publique tunisienne, les mesures exceptionnelles du 25 juillet sont une nécessité. “Ils ont détruit les rêves de la jeunesse et ils ont pillé le pays”, ont confié plusieurs Tunisiens lors des dernières manifestations pro-Kaïs Saïed. Côté Ennahdha et l’opposition, on dénonce un coup d’État et une violation de la Constitution de 2014. Le parti islamiste, qui est au pouvoir que ce soit directement ou indirectement, depuis 2011, dénonce la main mise du président de la République sur le pouvoir judiciaire et législatif.
Reste, à présent, à savoir si le gouvernement de Najla Bouden sollicitera la confiance de l’ARP – qui est gelée – pour pouvoir travailler. Certains observateurs estiment qu’il s’agirait d’un gouvernement transitoire qui restera en fonction jusqu’aux prochaines réformes constitutionnelles et politiques évoquées par Kaïs Saïed. Celui-ci a, en effet, laissé entrevoir un changement du régime politique et une révision de la loi électorale. Son objectif, selon les observateurs de la scène politique tunisienne, serait de rétablir un régime présidentiel et de mettre fin à la gouvernance du parti islamiste Ennahdha. À suivre.