Le jury a décerné, le 7 octobre à Stockholm, le Prix Nobel de Littérature 2021 à l’écrivain tanzanien Abdulrazak Gurnah. Il a été consacré pour son récit « empathique et sans compromis des effets du colonialisme et le destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents » selon les dires de l'académie. Il est le premier auteur noir africain, depuis Wole Soyinka 1986, à remporter le prix de la plus prestigieuse des récompenses littéraires.
L'Afrique, parent pauvre du Nobel
Le romancier tanzanien Abdulrazak Gurnah s'est dit « surpris et humble » de recevoir le prix Nobel de littérature 2021. En effet, cela a etait surprenant étant donné que, sur les dix derniers prix, six étaient européens. En décernant cette récompense à Gurnah, l'Académie suédoise semble vouloir rompre avec cette tradition de récompenser uniquement les auteurs européens.
L'Afrique est malheureusement considérée comme “le parent pauvre » de cette académie. Avant Abdulrazak Gurnah, seuls quatre auteurs du continent avaient remporté ce prix. Il s'agit des Sud-Africains, Nadine Gordimer en 1991 et J.M.Coetzee en 2003, de l'Égyptien Naguib Mahfouz en 1988 et du Nigérian Wole Soyinka en 1986.
Gurnah est un écrivain de 72 ans, né en 1948 en Tanzanie. Il a grandi dans l’archipel de Zanzibar qu’il fuit en 1968 lors d’une répression contre la minorité musulmane. Installé au Royaume-Uni depuis un demi-siècle, il est aussi professeur de littérature postcoloniale et d'anglais à l'université du Kent, à Canterbury.
Selon l'Académie Suédoise, l'œuvre de Gurnah se détache des « descriptions stéréotypées et ouvre notre regard à une Afrique de l'Est, diverse culturellement, mal connue dans de nombreuses parties du monde ». En décernant ce prix à un auteur africain, l'Académie Suédoise s'inscrit donc dans une volonté d'élargir ses horizons géographiques.
Abdulrazak Gurnah, la nouvelle figure de la littérature postcoloniale
Gurnah est l’auteur d’une dizaine de romans et d’un recueil de nouvelles. Ses trois premiers romans écrits en anglais, « Memory of Departure » (1 987), « Pilgrims Way » (1 988) et « Dottie » (1 990), abordent la question de l’immigration dans la société britannique contemporaine.
L’écrivain tanzanien est méconnu notamment dans le monde francophone. Ses œuvres ont été très peu traduites. Il devient célèbre grâce à la parution de son quatrième roman intitulé Paradise. Paru en 1994, le livre rencontre un grand succès et est nommé pour le Booker Prize. Son histoire se déroule en Afrique de l'Est coloniale pendant la Première Guerre mondiale. On y retrouve le récit tumultueux d’un garçon qui grandit en Tanzanie au début du XXe siècle. L’auteur décrit les péripéties de Yusuf, un jeune réfugié, et interroge dans le même temps « le hiatus culturel et géographique, entre vie passée et nouvelle vie ».
Adieu Zanzibar a également été récompensé en 2007 par le prix RFI Témoin du monde.
Le porte-voix de la cause des réfugiés
Gurnah ne se contente pas d’écrire. Profondément engagé, il saisit également les médias pour faire entendre sa voix et défendre la cause des réfugiés. Au cours de son entrevue à la Fondation Nobel, le lauréat a mis le doigt sur la question épineuse de l'immigration. En effet, il a exhorté l'Europe à remettre en question ses points de vue concernant les réfugiés d'Afrique et la crise migratoire.
Abdulrazak Gurnah a évoqué le destin et la situation difficile des réfugiés coincés entre deux mondes : “Beaucoup de ces gens qui viennent, viennent par nécessité, et aussi franchement parce qu'ils ont quelque chose à donner. Ils ne viennent pas les mains vides, a affirmé l'écrivain, soulignant qu'il s'agissait de gens talentueux et pleins d'énergie.” a-t-il lancé.
Le comité du Nobel reconnaît « sa pénétration intransigeante et compatissante des effets du colonialisme et du sort du réfugié dans le gouffre entre les cultures et les continents », peut-on lire sur le compte Twitter de la fondation.