Et si, depuis 50 ans, les climatosceptiques étaient soutenus par les géants pétroliers ? C’est ce qu’a révélé une étude publiée mercredi 20 octobre 2021 dans la revue Global Environmental Change. Les trois auteurs y ont pointé du doigt la responsabilité les principaux groupes pétroliers connus, à savoir TotalEnergies, ExxonMobil, Elf et Shell. Le géant français Total, à titre d’exemple, était déjà conscient du fait que ses activités aggravaient le réchauffement climatique… depuis 1971.
Cependant, pour se défendre, TotalEnergies a avancé les arguments des climatosceptiques, en mettant en lumière les incertitudes qui planent autour des sciences du climat. Son objectif, selon l’étude de la revue Global Environmental Change, était de freiner la mise en place des politiques qui devaient permettre de limiter l’utilisation des énergies fossiles.
Ces révélations sur les groupes pétroliers ayant alimenté le doute sur le réchauffement climatique interviennent à moins de deux semaines de la COP26. Cette prochaine conférence sur le climat se déroulera à Glasgow, en Écosse, du 31 octobre au 12 novembre 2021. Pour les scientifiques, c’est sans doute la conférence de “la dernière chance”.
TotalEnergies a « fait taire” les mises en garde contre le réchauffement climatique
TotalEnergies – qui a été rebaptisé ainsi en 2021 – était pourtant conscient des effets néfastes de ses activités sur l’environnement selon les auteurs de l’étude. Cependant, le géant français a exercé un “lobbying acharné” dans le but de minimiser son implication dans la dégradation environnementale, ce qui lui a permis de poursuivre son exploitation des énergies fossiles pendant 50 ans. À titre d’information, l’étude en question a été menée dans le cadre d’un partenariat entre trois chercheurs. Figure, tout d’abord, le directeur de recherche au sein du CNRS, Pierre-Louis Choquet. Il s’est associé au sociologue-enseignant à Sciences Po, Christophe Bonneuil, et au chercheur en histoire à l'Université de Stanford aux États-Unis, Benjamin Franta. Ils se sont appuyés sur des entretiens afin de parvenir aux résultats de leur enquête. De plus, ils se sont basés sur les archives de TotalEnergies de la période 1970-2021.
Selon ces auteurs, tout a commencé en 1971 avec la parution d’un article plutôt curieux. Intitulé “Pollution atmosphérique et climat”, il a été publié dans Total Information, qui est le magazine interne du géant pétrolier français. L’article en question soulignait les conséquences désastreuses de la combustion d’énergies fossiles. “Elle conduit à la libération de quantités énormes de gaz carbonique […] ce qui laisse entrevoir une hausse de la température moyenne de l’atmosphère”, pouvait-on y lire. Le même article a également évoqué la fonte accélérée des calottes glaciaires des deux pôles de la Terre. Or, Total a décidé de passer sous silence toutes ces mises en garde, préférant laisser le public dans l’ignorance. En effet, à l’époque, l’opinion publique n’était pas aussi bien renseignée sur le réchauffement climatique qu’elle ne l’est aujourd'hui.
La remise en question des conclusions scientifiques
Finalement, il a fallu attendre 1988 pour que l’article en question du magazine interne de Total soit publié. D’ailleurs, c’est à partir des années 1980 que les géants pétroliers ont décidé de changer de stratégie, à l’instar d’Elf. De la dissimulation totale de l’information, ils sont passés à la discréditation.
Une déclaration de l’ancien directeur de l’environnement d’Elf de l’époque, Bertrand Tramier, en est la preuve selon les auteurs de l’étude. Les propos en question ont été tenus en 1986 et transcrits dans un rapport envoyé au comité exécutif de l’entreprise pétrolière. Bertrand Tramier y a reconnu les conséquences de l’accumulation du dioxyde de carbone, principal gaz à effet de serre, sur l’environnement. Il a donc estimé que “l’industrie pétrolière devait se défendre”.
Une campagne de remise en question a donc commencé selon les trois auteurs de l’étude parue dans la revue Global Environmental Change. Menée par les lobbys pétroliers, elle consistait à semer le doute au sujet des conclusions scientifiques portant sur le réchauffement climatique. Dans cette même optique, Jean-Philippe Caruette, directeur de Total en 1992, s’est exprimé dans la revue de l’entreprise. “Il n’existe aucune certitude au sujet de l’impact des activités humaines, notamment la combustion d’énergies fossiles”, avait-il déclaré.
Plus encore : en 1993, Francis Girault, qui est un proche du PDG d’Elf, avait incité le géant pétrolier à soutenir “des scientifiques de renom qui pouvaient intervenir positivement dans le débat”. Et par “positivement”, Francis Girault entendait la remise en question des conclusions scientifiques sur les causes du réchauffement climatique.
Avec cette campagne et cette attitude, les géants pétroliers – Total et Elf – ont réussi à retarder la mise en œuvre des politiques publiques visant à réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pendant ce temps, ils se sont investis pour assurer leurs arrières en pensant à de nouvelles initiatives. Ces dernières se sont inscrites dans l’optique de la protection de l’environnement, comme en témoigne une annonce de TotalEnergies datant de 2015. L’entreprise française a, en effet, assuré qu’elle s’est engagée dans une profonde transformation de ses activités.